Le marché de l’affacturage inversé en France

François Palle-Guillabert
délégué général de l’Association française des sociétés financières (ASF)

Comment se porte le marché de l’affacturage inversé en France ?

C’est un produit qui fait parler de lui en raison des anticipations selon lesquelles la croissance économique pourrait se libérer. Lorsque ce sera le cas, des besoins de financement se feront sentir, auxquels le système bancaire classique, très contraint par les nouvelles règles prudentielles, ne pourra pas forcément répondre. Le reverse factoring représente aujourd’hui environ 5 % du marché de l’affacturage français. C’est peu par rapport à d’autres pays européens : 50 % environ en Espagne et 30 % au Portugal. Ce marché se développe beaucoup en Europe du Nord.

Comment expliquer le retard de la France en la matière par rapport au reste de l’Europe ?

Les acteurs français sont en position d’offre, mais le marché peine à se développer en raison de plusieurs facteurs. L’un d’entre eux est le fait que l’affacturage inversé n’est malheureusement pas adapté au secteur public en raison de la longueur du circuit de validation de la facture. L’autre frein est dû à la lourdeur de la réglementation bancaire. En effet, en France, l’affacturage est une opération de crédit réglementée par la direction générale du Trésor et surveillée par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). Ailleurs en Europe, elle n’est pas soumise aux mêmes contraintes réglementaires. En conséquence, les factors français sont très solides, mais en situation de distorsion par rapport à leurs concurrents étrangers, ce qui pèse sur leur compétitivité, notamment tarifaire.

Les nouvelles solutions que constituent le crowdlending, ou encore l’élargissement du prêt interentreprises prévu par la loi Macron, seront-elles une alternative au reverse factoring ?

Ces nouveaux dispositifs sont révélateurs de l’alourdissement excessif de la réglementation bancaire et financière. Il devient nécessaire de créer des dispositifs qui permettent d’y échapper, comme le crowdfunding, le crowdlending ou encore le prêt interentreprises. Cependant, des interrogations subsistent. Sur le prêt interentreprises, le crédit est un métier, et la plupart des entreprises ne disposent pas des compétences pour l’exercer. Il faut analyser le risque, tenir compte de ratios, du rating… Comment sera réglée la créance ? Que se passera-t-il lorsque surviendront les premiers sinistres ? Le prêt interentreprises soulève aussi la question de la dépendance. Des sanctions sont prévues lorsque les délais de paiement ne sont pas respectés, mais on imagine mal l’entreprise actionner ces leviers lorsque le donneur d’ordres est également le prêteur. Le prêt interentreprises pourrait être vertueux, mais je crains que certains grands groupes n’en profitent pour durcir les relations avec leurs fournisseurs.

Délais de paiement, une loi contre les retards qui perdurent

Sept ans après la loi LME, le retard de paiement demeure un véritable sport national en France. Et la dynamique continue à se dégrader : selon une étude du cabinet Altares, publiée en septembre 2015 et portant sur plus de 211 millions de factures, l’écart entre la date convenue et le règlement effectif est de 13,6 jours en moyenne, un plus haut historique depuis 10 ans, en nette progression par rapport à l’année dernière (alors à moins de 12 jours). D’après ce document, qui étudie les comportements de paiement de 120 grands donneurs d’ordres, moins de 37 % respectent aujourd’hui la loi en matière de délais de paiement. Au total, Altares évalue à 3,9 milliards d’euros le montant des retards de paiement des grands donneurs d’ordres ; un chiffre en augmentation de 400 millions d’euros sur un an.

Ces retards viennent peser sur la trésorerie des fournisseurs, et peuvent même dans certains cas entraîner des dépôts de bilan. Selon l’Insee, 25 % des défaillances d’entreprises sont dues à des retards de paiement. “Les délais de paiement peuvent conduire à l’asphyxie pour les PME. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles sont tétanisées à l’idée de réclamer les frais de relance prévus par la loi, de peur de perdre des parts de marché, déplore Denis Le Bossé, président du cabinet ARC. Le rapport de force est toujours aussi déséquilibré entre les grandes et les petites entreprises, mais les problèmes de retard de paiement ne se limitent pas à celles-ci. On constate des retards également entre des TPE ou des PME. Mais il ne faut pas généraliser : on compte de nombreuses entreprises vertueuses, y compris chez les grands donneurs d’ordres.”

Reste que la France demeure un mauvais élève sur le plan international : on compte seulement 36,5 % de “bons payeurs” dans l’Hexagone, contre 41 % en Europe. Mais les mentalités pourraient changer avec le durcissement de la législation. Depuis cet été, la DGCRF a intensifié ses contrôles. Le décret d’application encadrant la loi Hamon sur les délais de paiement devrait par ailleurs être prochainement publié. Initialement prévu en décembre 2014, puis repoussé en janvier, il n’était pas encore entré en vigueur à l’automne 2015. Votée le 14 mars 2014, la loi Hamon vise à durcir les sanctions à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas les délais de paiement. Elle prévoit des amendes administratives allant jusqu’à 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.

L’affacturage avance toujours
Le montant des créances prises en charge dans le cadre d’un contrat d’affacturage s’élève à 117,5 Mde au premier semestre 2015. Ce chiffre est en progression de 8,5 % par rapport à l’année précédente.
La croissance reste soutenue, mais elle ralentit : elle était de 12 % au deuxième semestre 2014 et de 14,2 % au premier semestre 2014.

Source : ASF

Publié le 18/11/2015