Affacturage inversé – hors de sentiers battus
Grands principes et mise en place d’une solution gagnante pour tous, et qui s’étend désormais au-delà de ses secteurs de prédilection.
Alors que les PME se plaignent toujours d’un accès insuffisant au crédit bancaire, de plus en plus de donneurs d’ordres choisissent de se saisir du problème et de sécuriser leur supply chain via l’affacturage inversé. Relativement peu connu il y a quelques années, ce dispositif, qui permet d’assurer le paiement des fournisseurs en temps et en heure tout en améliorant le BFR, semble s’imposer comme un nouveau moyen de financement court terme.
En juin dernier, le premier ministre Manuel Valls dévoilait un train de mesures visant à développer l’emploi dans les TPE et les PME. Parmi les pistes abordées, le gouvernement évoquait la généralisation de l’affacturage inversé. “Le développement et même la survie des TPE et PME peuvent être menacés par des problèmes ponctuels de trésorerie. Parmi les raisons de ces difficultés, les délais de paiement interentreprises jouent un rôle central”, écrivait Matignon dans un communiqué. Concrètement, l’affacturage inversé, aussi appelé “reverse factoring”, est une solution de financement qui se base sur une relation entre trois acteurs : un client, un fournisseur, et une société d’affacturage, aussi appelée “factor”. Contrairement à une solution d’affacturage classique, ce n’est pas le fournisseur qui souscrit le contrat, mais le client. Le contrat de reverse factoring permet à celui-ci de proposer à ses fournisseurs un paiement comptant assuré par la société d’affacturage, en échange d’un escompte. La différence fondamentale entre l’affacturage classique et le reverse factoring est le fait que le donneur d’ordres s’engage à régler la facture. Dans un dispositif de factoring classique, le client peut par exemple contester la livraison, ce qui est impossible dans le cadre du reverse. Il y a donc moins de risque pour le factor, qui peut avoir un recours direct contre le donneur d’ordres en cas de problème.
L’affacturage inversé a longtemps été cantonné à certains secteurs, comme celui de la grande distribution. Mais les choses changent rapidement, et d’autres filières commencent à y faire appel.
La chaîne de vêtements Vivarte, ou encore l’avionneur Airbus, ont récemment déployé des solutions de reverse factoring. “L’affacturage inversé est une technique de financement dont on commence tout juste à mesurer le potentiel. Les pouvoirs publics s’y intéressent d’ailleurs de plus en plus. Une étude du Conseil d’analyse économique de décembre 2014 préconise l’usage de cette technique de financement pour soutenir la trésorerie des TPE et des PME.
Certaines grandes PME commencent à s’emparer de cette solution de financement, mais dans la majorité des cas, les clients restent de grands donneurs d’ordres traitant avec un vaste pool de fournisseurs et surtout, très solides financièrement. Et pour cause : pour le factor, le risque d’impayé est intégralement transféré au client. Il doit donc s’assurer de sa solvabilité. “Ce sont surtout les grandes entreprises en forte croissance et sans problème de solvabilité qui recourent à ce type de solution. En effet, les sociétés fragilisées, qui présentent des problèmes de trésorerie, ne sont pas éligibles”, observe Denis Le Bossé, président du cabinet ARC. Le profil de risque du client est d’ailleurs l’un des éléments principaux du calcul du prix de l’affacturage. En revanche, la taille de l’entreprise n’entre pas en ligne de compte en ce qui concerne le fournisseur. “Toutes les entreprises peuvent se connecter à la plateforme, de la TPE en passant par l’ETI”, remarque Bozana Douriez.
Chez BNP Paribas Factor, l’affacturage inversé a connu une croissance de 30 % en 2014, pour un flux de 2 milliards d’euros. Il ne s’agit pas d’un cas isolé : les autres professionnels du secteur ont également connu des croissances à deux chiffres l’an dernier sur cette activité. Une véritable explosion du marché, qui s’explique notamment par le contexte actuel. En effet, le reverse factoring est un outil particulièrement efficace en temps de conjoncture économique difficile. Alors que les PME peinent toujours à accéder au crédit bancaire, cette solution permet aux donneurs d’ordres de s’assurer que leurs fournisseurs stratégiques ne seront pas victimes de tensions de trésorerie qui pourraient nuire à leur activité, voire les pousser au dépôt de bilan.
“Le premier avantage de l’affacturage inversé pour un donneur d’ordres est de fidéliser les fournisseurs et de fiabiliser le traitement ‘bout en bout’ de sa chaîne d’approvisionnement”, explique Éric Frachon, directeur général de CGA, filiale affacturage de Société Générale.
Une relation gagnant-gagnant
Mais l’usage du reverse factoring a d’autres intérêts pour le donneur d’ordres. Il lui permet tout d’abord de respecter automatiquement la loi LME, qui impose un paiement à 60 jours maximum, sans avoir à décaisser l’argent avant la date d’échéance, puisque le factor assure le financement durant l’intervalle. “C’est une solution idéale pour la direction financière du donneur d’ordres, puisqu’elle permet d’améliorer le BFR tout en fluidifiant le traitement de la supply chain”, souligne Éric Frachon.
De son côté, le fournisseur a également beaucoup à gagner avec ce mode de financement. Il bénéficie premièrement de l’assurance d’être réglé quelques jours après la validation de sa facture par son client. Le délai d’approbation des factures est accéléré et la visibilité est améliorée, puisque la date de paiement est connue à l’avance. L’autre avantage majeur concerne le taux d’escompte, beaucoup plus faible que dans le cadre d’un contrat d’affacturage traditionnel. En effet, le fournisseur bénéficie de la qualité de la signature du donneur d’ordres. Celle-ci est en règle générale bien meilleure que la sienne, puisque les groupes contractant des solutions d’affacturage inversé disposent nécessairement d’une excellente santé financière. “Par définition, le reverse factoring est plus avantageux que l’affacturage pour les TPE et les PME sur le plan financier. C’est normal, puisque le coût du risque est moindre pour le factor, dans la mesure où il dispose d’un bon à payer émanant d’un grand donneur d’ordres”, explique Bozana Douriez.
Avec la montée en puissance des nouvelles technologies, les factors ont par ailleurs fait évoluer leur offre en mettant en place de nouvelles plateformes informatiques. Lorsque le reverse factoring est apparu dans les années 80, l’essentiel des transactions s’effectuaient sur papier. Une lourdeur administrative parfois difficile à gérer dans les directions financières.
Aujourd’hui, les plateformes proposées par les factors sont à des années-lumière du tout-papier. Entièrement dématérialisées, celles-ci permettent aux prestataires d’envoyer leurs factures à leur client, qui peut à son tour leur délivrer les bons à payer. Lorsque le fournisseur décide de faire financer une facture, le factor est alerté immédiatement et crédite le compte sous un ou deux jours ouvrés dans la plupart des cas. Ces outils “clé en main” offrent une plus grande transparence au client comme à ses fournisseurs : chacun peut visualiser les montants en temps réel.
“Le fournisseur peut par exemple voir à tout instant quel est le montant finançable, puisque les bons à payer apparaissent sur la plateforme dès qu’ils ont été validés par le donneur d’ordres.
Il peut également constater immédiatement si des factures sont en suspens. Si l’une d’entre elles n’a pas reçu le bon à payer, il lui est possible de traiter le litige via l’outil informatique”, ajoute Bozana Douriez. Pour Éric Frachon, “l’information est remarquablement fluidifiée du fait de la dématérialisation des processus, contribuant ainsi à des gains de productivité administrative significatifs. Le programme de supply chain finance repose sur la présence d’une plateforme collaborative de marché, où chacun des acteurs (donneur d’ordres, fournisseur, institution financière) a accès à l’information en temps réel et de façon souple et sécurisée”.
Mise en place, des liens à construire
Si le recours au reverse factoring s’est démocratisé, l’entreprise cliente doit toujours répondre à un certain nombre de prérequis. Pour choisir la solution qui conviendra au mieux, le donneur d’ordres doit tout d’abord procéder à une étude approfondie du poste fournisseur et déterminer quels seront les gains, en termes de BFR notamment. Autre condition nécessaire à la réussite du dispositif : l’acheteur doit avoir une maîtrise complète de son processus opérationnel, notamment concernant l’enrôlement des fournisseurs. Il s’agit d’une partie capitale du processus, sur laquelle le donneur d’ordres peut difficilement faire l’impasse.
“Il importe que le donneur d’ordres s’empare de la commercialisation du projet : choisir les fournisseurs qui bénéficieront de la convention de cession de créances sur l’acheteur, les sensibiliser à ce dispositif… L’enrôlement des fournisseurs fonctionne nécessairement moins bien si le factor est le seul à s’impliquer dans ce process, car le donneur d’ordres est forcément plus légitime vis-à-vis d’eux”, estime Éric Frachon. Une fois que le client a décroché l’adhésion de ses fournisseurs stratégiques, une phase de formation doit être envisagée pour que chacun d’entre eux puisse utiliser la plate-forme informatique de façon fluide et efficace. La mise en place du programme peut nécessiter plusieurs mois de travail et mobiliser des équipes au sein de différents services de l’entreprise : non seulement à la direction financière, mais aussi à la direction des achats, ou encore au département informatique.
Enfin, le donneur d’ordres doit faire preuve de rigueur dans les process de traitement des factures. C’est en effet la validation du bon à payer qui déclenche le règlement du fournisseur par le factor. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est difficile d’implémenter une solution d’affacturage inversé dans le secteur public : les circuits de validation de facture, qui durent parfois plusieurs semaines, ne se prêtent pas à un tel dispositif.